La poursuite

L’accusation de trop qui provoque une poursuite endiablée.

Je dois avoir 5 ans, peut-être un dimanche, toute la famille est venue voir les travaux que mes parents font dans l’ancien verger de la maison de ma grand-mère paternelle. Les fondations de notre future maison ont été creusées et une grande surface du terrain est striée de fossés où sera coulé du béton.

Mes parents ont acheté ce terrain à ma grand-mère. Elle vit toujours dans la maison principale. Pendant les travaux, ils louent un appartement dans l’annexe attenante.

Les cousins sont là et s’en donnent à coeur joie, à jouer, à courir sans retenue. Des enfant qui n’ont pas souvent l’occasion d’être libres dans un jardin. Alors, bien sûr, il y aura quelques plantes écrasées, des outils déplacés, des branches cassées.

En écrivant ce texte, je ressens physiquement cet agacement du moment d’avoir tous mes cousins chez nous. D’abord, parce que je les trouve envahissants et puis parce que je sais comment va finir l’après-midi, après leur départ.

Tous sont prêts à partir et je remarque ma grand-mère qui sort de chez elle et commence à fureter dans tous les coins. Tant que mes cousins sont là, elle ne dit rien, mais je vois son regard en biais.

Une colère monte déjà en moi sans explication aucune.

Il n’y a plus personne et ma grand-mère m’appelle, d’une voix agacée, de la souillarde (quel mot !).

Elle sort dans le jardin et commence à me gronder à propos de… j’avoue que je ne me souviens plus. Je me défends comme je peux mais elle continue à me houspiller. Je me sens complètement impuissant devant ses reproches et ressens un tel sentiment d’injustice. Car je sais que je n’ai rien fait et que mes cousins étaient de la partie lorsque le méfait, dont elle m’accuse, a été commis. Et, en plus, cela ne doit pas être bien grave.

C’est alors qu’une rage s’empare de moi. Je ramasse un bâton et je me dirige vers elle en hurlant. Je vois son incrédulité et sa peur car elle se met à courir à travers le terrain, sauter au dessus des fossés. Cela dure très peu de temps mais cela doit lui paraître une éternité car je suis déchaîné.

Heureusement que mon père me rattrape et me prend dans ses bras où j’éclate en sanglots. Il ne me fait aucun reproche. Cet incident a été évoqué comme un moment drôle, lorsque nous parlions de notre enfance. Je ne le vois plus du tout de cette façon.

Cet épisode a changé mes rapports avec ma grand-mère qui ne m’a plus jamais accusé.

Je ne crois pas avoir été un enfant gâté, ni coléreux. Mais, comme le dit cette expression que j’adore, j’en avais gros sur la patate. Ce sentiment d’injustice était quelque chose de difficile à vivre car il était accompagné d’un sentiment d’impuissance. L’’impuissance de ne pouvoir trouver les mots pour me défendre et une émotion trop forte pour rester contenue.

Et je me rends compte, que dans ma vie d’adulte, je réagis encore très vivement au sentiment d’injustice mais je ne prends plus de bâton pour l’exprimer.