Comment un outing forcé m’a dévoilé ma différence.
Je dois avoir dans les huit ans, nous sommes, avec tous mes cousins, attablés dans le salon, chez ma tante. Dans le quartier, tout le monde se connaît et chacun passe chez l’un ou chez l’autre, un vrai petit village espagnol.
Rosita arrive et se mêle à notre petit groupe. Ici, Rosita est une personnalité. Elle tient le bar restaurant du coin et chaque année, elle organise une grande fête de quartier qui dure plusieurs jours, sur la place de l’église. C’est une grande italienne, bien en chair et forte en voix, avec un accent très prononcé. Je ne la fréquente pas vraiment mais elle est bien connue de notre famille. Elle est indirectement liée à la mort de mon grand-père maternel (ce dont je parlerai plus tard).
Nous sommes tous en train de goûter en discutant, plaisantant, riant. Je suis un petit garçon qui n’est pas très masculin voire efféminé, ma voix n’a pas encore mué. Rosita est en face de moi et tout d’un coup, elle m’interpelle avec agressivité : “Tu devrais faire attention avec tes manières, tu risques de devenir pd”.
Je ne sais pas vraiment ce qu’elle veut dire mais je comprends qu’il y a quelque chose dont je devrais avoir honte. Je baisse la tête et je ne dis rien pendant qu’elle explique rapidement ce que cela veut dire. J’écoute et je ne dis toujours rien. Je ravale mes larmes car je ne veux pas pleurer devant tout le monde et surtout pas devant Rosita. Je sens qu’il y a une intention de me blesser, même si je ne sais pas pourquoi. La sortie du placard d’une personne n’est pas anodine et encore moins celle d’un enfant.
La conversation se termine en queue de poisson et si cela a eu un écho chez mes cousins, ils n’en laissent rien paraître. Il semble que cet outing sauvage a fait chou blanc. Mais même si personne ne réagit à la table, il est indéniable que cela n’est pas passé inaperçu. Cependant, mes cousins sont-ils assez âgés pour comprendre ce qui vient de se passer ? Je ne sais pas si des regards ou sourires en coin sont échangés, car je n’ose pas regarder les autres. Le goûter se termine et tout le monde sort jouer sans aucun commentaire sur ce qui vient de se passer.
Je me souviens du sentiment de détestation que j’ai éprouvé envers cette femme. Mais je me souviens aussi de cette détermination, que j’ai eue, de ne pas montrer que j’avais été blessé, de ne pas m’effondrer devant tout le monde. En écrivant ce texte, je pense à la lâcheté de Rosita car aurait-elle osé s’adresser à moi de la sorte si il y avait eu d’autres adultes ?
De toute évidence, cet outing a changé ma vie.
Mais, l’histoire ne s’arrête pas là….
Je dois avoir 17 ans. Je suis sur l’esplanade du Jardin des plantes, bien connu de la communauté gaie de ma ville. Me voici entrain de discuter avec les habitués du coin car je suis le petit nouveau. J’ai donc droit à une présentation en règle de tous les individus qui passent sur la promenade. J’avoue que je ris beaucoup car personne n’est épargné par les moqueries bon enfant qui émaillent les descriptions faites par la faune qui traîne ici et qui ne mâche pas ses mots.
Une grosse voiture arrive, une 404 Peugeot ou une Mercedes, une voiture très massive. Le conducteur, est un homme brun avec une grosse moustache, très viril. Les commères du lieu me disent : “Tiens, voilà la honteuse !”
Je reconnais le mari de Rosita.