Seuls les murs d’un hôtel se remémorent la bande du Baume. Pour ma part, je me souviens de Suzanne, Claudine, Odette, Charles, Henri et Serge. Je vais vous raconter.
Ces jours-ci, je faisais des recherches pour un nouveau texte, lorsque je suis tombé sur un petit livret qui m’a rappelé d’excellents souvenirs.
1-Raconter une histoire
En 1999, alors que j’avais repris mes études en gestion hôtelière, un professeur nous raconta qu’un des créateurs d’Accor avait affirmé que pour un hôtel, le plus important était “la position, la position et la position”.
Cependant, ce même professeur apporta une nuance en nous déclarant que cela ne suffisait pas : “Tous vos concurrents vendent des chambres, alors vendez du rêve, racontez une histoire !”. En effet, dans un quartier de grande concurrence, la position était, certes, un atout pour un hôtel, mais il fallait sortir du lot en ayant toujours une actualité.
Peut-être que cette recommandation fut oubliée par mes camarades de classe. Néanmoins, elle fit son chemin dans mon esprit.
J’ai eu tellement de chance de pouvoir appliquer ce conseil, ayant eu les moyens de raconter des histoires à travers une multitude de projets artistiques dans le cadre des hôtels où j’ai travaillé. Sans hésiter, je peux vous assurer que cela fut passionnant et enrichissant.
J’ai, cependant, envie de vous parler d’un dernier projet pour lequel j’ai suivi, au pied de la lettre, le conseil de mon professeur.
2-Un hôtel, une nouvelle histoire
Un an avant que je parte vers d’autres horizons, HPRG pour lequel je travaillais, a décidé de rénover un hôtel avec un changement d’identité.
Comme nous savions que l’Art déco serait le fil conducteur de cette transformation, je me suis documenté sur la période, couvrant les années folles jusqu’à la fin des années 40, la culture, la politique, la mode, le design…

J’étais déjà familier avec l’Art déco, étant donné que mon père en avait récupéré un stock de revues des années 20 et 30 comme l’Illustration ou l’Artisan Pratique. Revues qui me firent bien rêver lorsque j’étais adolescent.
Pour l’anecdote, ce sont ces revues qui ont été utilisées pour décorer l’ascenseur, les couloirs et les salons de l’hôtel.

Le style Art déco est, pour un hôtel, assez classique et très prisé, et même si nous avions un hôtel avec une belle position et des décorateurs talentueux, comment faire pour sortir du lot ?
C’est alors que j’ai pensé à mon professeur et l’idée d’une histoire, liée aux thèmes développés à chaque étage, m’est venue à l’esprit.
Une histoire qui devait servir de canevas pour raconter d’autres histoires sur le long terme.
3-La bande du Baume
C’est une publicité pour la gaine Scandale qui m’a inspiré. Cela a commencé par l’idée d’une jeune fille avec un corps parfait, née avec une tache sur le visage et qui devenait mannequin pour la gaine Scandale.
A partir de là, j’ai imaginé tous les personnages qui représenteraient chaque thème abordé, lié à l’Art déco et son époque.
L’idée centrale était d’évoquer une bande d’amis qui s’étaient connus au Jardin du Luxembourg. Ils se retrouvaient dans une pension d’étudiants qui allait devenir un hôtel chic du quartier de l’Odéon.
Chaque prénom avait été choisi avec soin :
Suzanne, pour l’actrice américaine Susan Hayward : “Ce détail va bouleverser sa vie car elle va rencontrer toutes les stars montantes de ces années foisonnantes pour le cinéma Américain.”
Claudine pour l’héroïne d’une série littéraire de Colette : “Le fondateur de Scandale confie à Gruau le soin de dessiner une publicité pour sa gaine révolutionnaire, Odette qui a fait sa connaissance chez Cheruit réussit à faire poser Claudine qui devient pendant plusieurs années la silhouette de la marque.“
Odette pour la comédienne Odette Joyeux : “elle commande tous les baumes et pommades très en vogue dont elle trouve les publicités dans les revues de ses parents. Des baumes qui vantent une jeunesse éternelle ou un teint de porcelaine.“
Charles pour Le Corbusier : “Il aura sa villa et deviendra célèbre. Il sait déjà comment il l’appellera : La Villa Baume.”
Henri pour Henri Robert de la maison Chanel : “Lorsque Henri part à Munich et qu’il passe un peu de temps avec son oncle chez Drom, il a le temps de créer un parfum inédit à base de sauge amande amère, lavande, ambre gris et autre fragrances gardées secrètes.”
et enfin, Serge pour le chorégraphe Serge Lifar : “C’est à la Coupole que Serge fait la connaissance de Joséphine Baker grâce à un ami de son père.”
Je souhaitais raconter une histoire inspirée des drames hollywoodiens ou des feuilletons que l’on trouvait dans les revues d’époque. Et si tous les évènements évoqués avaient été vérifiés, je m’étais permis, tout de même, quelques petits arrangements avec l’Histoire.
Amour, gloire et beauté, un récit riche en péripéties, drames et retournements !
Je vous invite d’ailleurs à découvrir toute l’histoire dans le petit fascicule placé en fin de l’article. Il y a des flèches au bas du document pour le feuilleter. Préparez vos mouchoirs ! 🙂
Vous y trouverez aussi les chemins que mon esprit emprunta pour choisir le nouveau nom de l’hôtel, processus pendant lequel, je me suis beaucoup amusé.
4-La bande du Baume par Elene Usdin
J’avais eu l’occasion de collaborer avec Elene Usdin et je savais que je voulais travailler avec elle pour réaliser les portraits de chacun. Le résultat me donna raison.
Rien ne fut laissé au hasard pour photographier la bande. Elene s’était bien imprégnée de l’histoire. Elle avait trouvé les modèles parfaits, et un budget avait été dégagé pour les costumes et les accessoires. De plus, nous avions choisi, comme cadre, les murs en béton d’un chantier, idéal pour mettre en valeur chaque personnage.
Les thèmes choisis par les décorateurs devaient être évoqués discrètement, notamment avec une petite affiche posée derrière chaque personnage.
Dix ans après, je trouve le résultat toujours aussi fabuleux. Chaque photo, tout en étant sobre, raconte bien l’histoire, grâce à l’immense talent d’Elene. Ma préférence allant aux portraits de Claudine et d’Henri.
5-Le tourbillon de la vie
Il est souvent difficile, pour tout établissement recevant du public, d’avoir une actualité qui permette de faire parler de lui. C’est d’autant plus difficile pour un hôtel car, lorsque la campagne de communication liée à l’ouverture est terminée, comment faire parler de soi ?
C’est le pari compliqué que doivent gérer les relations publiques, un responsable commercial ou même une directrice ou un directeur d’hôtel.
C’est pourquoi nous avions beaucoup de projets avec Suzanne et sa bande : une gazette pour suivre les péripéties de chacun, Serge organisant des soirées de jazz un peu folles, Claudine avec des défilés intimes, Charles proposant des conférences sur l’architecture, Henri et ses ateliers parfumeurs, Odette et des ventes privées de bijoux…
Les idées fusèrent de toutes parts, mais la réalité nous rattrapa et nous partîmes chacun de notre côté, emportés par le tourbillon de la vie.
Je pourrais évoquer des rendez-vous ratés ou des opportunités manquées, mais le temps a passé et je retiens uniquement le sentiment d’exaltation et le plaisir d’avoir rencontré Suzanne et sa bande.
La Bande du Baume ( le petit fascicule) Design graphique : Neutre.be
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