Hervé, l’ami furtif – Novella

Ce qui aurait pu être un flirt, un badinage alcoolisé et sans lendemain devint une amitié soudaine, riche, intense et trop brève.

« Monsieur, vous devez être surpris de recevoir une lettre de la maman d’Hervé, je ne fais que répondre à un de ses derniers souhaits… »

Une descente en ville

Ce soir-là fut encore d’une grande violence à la maison, pas de gestes mais des mots en trop, des phrases blessantes. Une impasse de laquelle Paul devait s’échapper.

À défaut d’une véritable fuite, il décida de descendre en ville. Après avoir traîné sans but, faute d’amitiés solides depuis son arrivée à Toulouse, il choisit d’aller dans le seul endroit qui l’accueillerait pour une nuit, le Shanghai, la boîte gay du centre-ville. Pourtant, il n’aimait vraiment pas cet endroit qu’il trouvait vulgaire et ringard.

N’ayant pas prémédité cette virée, il se sentait moche et il ne savait pas si sa tenue allait être adéquate pour qu’on accepte de le laisser entrer. Mais il passa inaperçu dans cette foule qui se pressait à la porte, même en ce jour de semaine.

Il ne savait pas trop ce qu’il faisait là, la dureté des mots échangés ce soir-là lui revenait en tête provoquant un sentiment mélangé de colère et de peur.

La cohabitation devenait de plus en plus difficile et ces éclats devenaient presque quotidiens.

Ces week-ends chez la mère de M. lui sortaient par les yeux, surtout ces soirées ineptes, à regarder les épisodes interminables de Dynasty. Il lui semblait devenir de plus en plus bête chaque samedi soir passé là-bas. Parfois, il avait envie de balancer sa chaussure sur cet écran indigeste pour tuer définitivement la famille Colby !

Il n’avait pas rêvé de cette vie-là et cela commençait à craquer de toutes parts.

Ce soir-là, justement, il s’était rebellé et avait annoncé qu’il ne voulait plus y aller.

Rencontre sur un escalier

Il n’avait pas l’habitude de la foule, des boîtes de nuit, les parfums bon marché, les odeurs de sueur, la fumée, l’ivresse. Mal à l’aise, il se rendit directement au bar pour un rhum-coca, juste de quoi lui donner un peu d’assurance.

Son voisin voulut trinquer avec lui mais il n’avait pas l’habitude des usages. Il ne répondit pas à son invite et se dirigea vite loin du bar.

Il n’était pas dans son élément : mauvaise musique, trop de fumée et cette promiscuité familière liée à l’alcool dans laquelle il avait du mal à se fondre.

Il lui faudrait encore plusieurs verres s’il voulait se donner une apparence un tant soit peu aimable mais il travaillait le lendemain alors tant pis.

Il trouva refuge sur les marches d’un petit escalier loin de la piste de danse : il voulait échapper à cette coutume ridicule et gênante qu’était la danse du tapis.

C’était une place stratégique où il allait s’adonner à son passe-temps favori, observation et persiflage.

Confidences dans un escalier

Il passa un bon moment à ricaner discrètement. Mais ne pouvant s’empêcher d’éclater de rire, le garçon qui s’était assis quelques minutes auparavant se tourna vers lui.

– Mais qu’est-ce qui vous rend autant hilare ?

C’était un garçon chic avec des traits grossiers mais avec une voix chaleureuse et un sourire charmeur. Il se leva, partit au bar et revint avec deux verres.

– Hervé, enchanté.

Et cela commença ainsi, un escalier enfumé, un éclat de rire et deux verres bien tassés.

S’étant accordés sur le fait qu’ils se trouvaient dans ce lieu par désœuvrement et non par recherche de l’âme sœur ou d’une aventure, il n’y eut aucun sous-entendu, ni aucune attente. Et comme ils s’étaient débarrassés de toute tension sexuelle, ils purent s’investir immédiatement dans leur amitié.

En une nuit, ils se trouvèrent tellement de points communs.

Lui était libraire et Hervé était en lettres classiques : vous ne sauriez imaginer quelle fut leur conversation sur les marches d’une discothèque gay un peu ringarde.

Le petit matin arriva vite. Il n’y eut pas de chaussure perdue mais la promesse d’une visite à la librairie.

L’ami clandestin

Alors qu’il n’y avait aucune ambiguïté quant à leur relation, il ne parla jamais de cette amitié à L. Bien sûr, cela compliquait considérablement leurs rencontres.

Il en avait été de même lorsqu’il vivait à Bordeaux lors de ses études : dans un bar gay, il avait fait la connaissance d’un garçon qui était devenu un ami précieux.

Il faut croire qu’il lui manquait quelque chose dans sa relation avec M.

Hervé venait le retrouver, une à deux fois par semaine, pour le déjeuner. C’étaient de longues discussions surtout sur les livres qu’ils avaient lus ou qu’ils auraient aimé lire.

Cela débouchait souvent sur leur vision de la vie, de l’art, de l’amour. Une heure et demie passionnante où ils étaient obligés de se contenir tant leur enthousiasme était grand. Ils avaient tellement à se dire.

Étonnamment, ils n’évoquaient pas souvent leur vie respective, leur famille, leur enfance, leurs amis.

Il avait seulement compris que ce n’était pas facile d’être le garçon de la famille. Mais c’était surtout ce qui n’avait pas été dit par Hervé qui lui avait permis d’avoir cette certitude car aucun détail n’avait été donné.

Il ne savait même pas où Hervé demeurait à Toulouse. Il savait seulement qu’il était né près de Tarbes.

Chaque fois qu’ils se rencontraient, cela donnait lieu à un moment de grande effusion car Hervé était très affectueux. Il l’appelait avec sa voix tonitruante, le serrait fort dans ses bras, lui appliquait deux bises bien sonores sur les joues et posait sa tête sur son épaule pour y rester quelques secondes.

La première fois, il fut un peu interloqué par ces manifestations de tendresse et ne sut comment se comporter. Mais étant donné qu’il n’y avait aucune équivoque, il se prêta avec plaisir à ce cérémonial.

Entre ces salutations sonores et les conversations très animées, ils ne passaient jamais inaperçus.

Parfois, Hervé venait le chercher à la librairie pour l’accompagner un bout du chemin du retour chez lui. Il adorait ces moments d’échange furtifs mais tellement stimulants.

Cette période fut une des plus heureuses de sa vie toulousaine, elle fut aussi très courte : six mois.

L’ami discret

Et puis un jour, Hervé disparut. Il resta sans nouvelles quelques mois, puis reçut une lettre.

Hervé lui expliquait que sa situation financière ne lui permettait plus de rester à Toulouse. Il retournait vivre chez ses parents où il allait continuer à étudier.

Il était désolé de ne pas avoir pu l’avertir mais ses parents étaient venus le chercher et il n’avait pas eu le temps de dire au revoir.

Même s’il était un peu blessé par ce départ soudain, il comprit que tout n’était pas dit dans cette lettre et il rassura Hervé. Cela ne changeait rien à leur amitié.

Même s’il n’était pas amoureux, il ressentit une sensation de manque qui le plongea dans un désespoir, heureusement, passager. Son esprit était bien occupé car sa situation professionnelle était devenue très instable et sa relation avec M. continuait à se détériorer.

Le départ d’Hervé contribua sûrement à la dégradation de son couple. Car il avait perdu ces moments joyeux et ces conversations qui rythmaient et coloraient sa vie devenue monotone.

Bien sûr, il y avait les échanges épistolaires : Hervé lui écrivait de longues lettres qui le mettaient en joie.

« Dès que j’aurai terminé (la correspondance de Truffaut), je me jette dans le Rivage des Syrtes… enfin je vais pouvoir juger par moi-même si J. Gracq est bien l’écrivain de génie dont tout le monde parle ou si la mode, le snobisme, et la bêtise (3 mots pour dire la même chose) ont encore frappé. Dis-moi ce que tu en penses Ô toi le sage littéraire !! »

Il racontait aussi ses voyages à Paris, toutes les expositions qu’il allait voir, ses déambulations dans le Louvre.

Il comprit que ces voyages à Paris étaient devenus vitaux pour Hervé.

« À propos de peinture, je ne vis plus maintenant que pour mon prochain voyage à Paris… J’ai envie que cette semaine soit pleine de sensations fortes, de magie, d’extases, enfin suffisamment riche pour me permettre de rêver les trois mois à venir, et de supporter la grisaille, le vide qui les rempliront. »

Il y avait aussi quelques visites à Toulouse pendant lesquelles ils se retrouvaient pour déjeuner. C’étaient certes des moments heureux où leur complicité était intacte. Mais il sentait une mélancolie chez Hervé qu’il expliquait par l’ennui de vivre chez ses parents et le manque d’argent.

Et puis ses visites à Toulouse furent tellement rapides qu’il n’eut plus le temps de voir ses amis.

Et enfin, Hervé ne revint plus.

Ils continuèrent leurs échanges par lettres interposées. Celles d’Hervé étaient toujours vives et enjouées.

« En attendant, je t’embrasse et j’espère à bientôt.

Hervé »

Il était de retour de voyage lorsqu’il reçut la lettre de la maman d’Hervé.

« Hervé a exprimé le désir que vous soyez prévenu. Comme nous, essayez de vous souvenir de lui en bonne santé et de lui pardonner son geste. »

Quelques mois plus tard alors que le chagrin s’estompait lentement, il croisa un ancien client de la librairie. Ce dernier le salua et s’approcha de lui.

-Vous devez être Paul ? Excusez-moi de vous aborder si cavalièrement. Cela fait un moment que je souhaitais vous rencontrer mais comme vous ne travaillez plus à Ombres Blanches, je ne savais où vous trouver. J’étais le meilleur ami d’Hervé. Auriez-vous du temps pour aller boire un café ? Il aurait souhaité que je vous parle….

Ce texte fait partie de la série Fragments de P.

Be First to Comment

Leave a Reply