Être de Montauban – La Leçon d’un Scandale

J’ai décidé de reproduire dans son intégralité un éditorial écrit par Marcel Guerret, dans l’Éveil de Tarn-et-Garone, en mars 1949. Il fait écho à l’affaire de mœurs qui a fortement secoué Montauban.

Cet article est lié à ma série d’articles sur l’expression “être de Montauban et plus particulièrement celui-ci

1 – Marcel Guerret

Ce texte a été écrit par Marcel Guerret, député socialiste. Censé être du côté des Lumières, il avait soutenu l’arrivée au pouvoir de Pétain pour se rendre compte qu’il avait été trompé par le maréchal. “À Vichy, le 10 juillet 1940, il vota l’octroi des pouvoirs constituants au maréchal Pétain. Il écrivit des articles favorables à la Révolution nationale dans L’Effort et, surtout, dans son journal Le Républicain du Tarn-et-Garonne. Il y défendait, comme il le faisait depuis 1939, la nécessité d’une union nationale devant les risques extérieurs mais aussi intérieurs de dissolution du pays. Il y salua également la venue à Montauban du maréchal Pétain à l’automne 1940.” Source

Il faut croire que les socialistes ont souvent été et continuent à être bien naïfs devant la droite la plus crasse au nom d’une supposée union nationale. Naïveté ou opportunisme ? Mais ce n’est point le sujet de cet article.

Marcel Guerret a été réhabilité grâce à son action dans la Résistance. De plus, Il “n’avait cessé depuis juillet 1940 d’aider clandestinement les réfugiés menacés par le nazisme, surtout les sociaux-démocrates autrichiens et les républicains espagnols et les Juifs d’Europe centrale nombreux dans la région de Montauban.” Source

Une rue a même été baptisée à son nom à Montauban.

Cet éditorial est paru le 19 mars 1949 alors que l’affaire judiciaire est toujours en instruction. Il n’y a encore eu aucune condamnation.

J’ai donc décidé de proposer le texte dans son intégralité car il présente bien la répression morale qui sévissait en France après la guerre, héritière du pétainisme. C’est un texte passionnant et tellement d’actualité avec l’arrivée de Trump au pouvoir, l’extrême droite en Europe et l’islamisme politique au Moyen-Orient.

2 – La Leçon d’un scandale, M Guerret

Notre bonne ville se serait bien passée, de cette affaire de mœurs qui ternit, au moins pour un temps, sa vieille et solide réputation de ville austère et puritaine. On est un peu honteux et gêné vis à vis des voisins d’être Montalbanais, et il y a plus de courroux que de curiosité dans l’opinion publique devant même la brusque révélation et surtout devant l’ampleur du scandale.

Quelques bons esprits se sont même demandé s’il n’eut pas mieux valu faire le silence autour de l’affaire et prononcer une sorte de huis clos dès le début de  l’enquête. A quoi peut servir, en effet, la publicité donnée au vice, sinon à inciter ceux qu’il n’a pas encore atteint, à s’intéresser à lui.

Je ne suis pas de cet avis.

Je crois que les informations données et qui jusqu’à présent sont restées discrètes et honnêtes, peuvent freiner  la tentation par le mépris qui frappe les délinquants avant même qu’ils  soient jugés et condamnés.

Au surplus, par le nombre, la variété des coupables qui semblent appartenir à tous les milieux, l’attention ne peut manquer d’être attirée sur l’importance que présente actuellement le problème sexuel, dans le désarroi d’un monde qui a perdu le respect des traditions d’honnêteté familiale, le sens de la pudeur et de la contrainte nécessaires devant l’instinct ou la passion

Car le scandale de Montauban, après celui de Tours, n’est qu’un épisode de cette révolte d’abord secrète, puis avouée, et sans doute bientôt systématique de la passion qui sous divers prétextes se libère des obstacles, et rejette la coutume, base du vieil équilibre moral où vis-á-vis de soi-même et vis-à-vis des autres, on n’avait pas le droit de faire n’importe quoi sous prétexte qu’on en avait envie.

Il y a là un danger évident, celui de l’évasion de la loi morale au sein de la société civilisée. L’évasion n’est plus un accident dû à une faiblesse physiologique ou à un désordre nerveux de l’individu.

Elle est le fait d’individus qui sont encore normaux pour qui l’aventure, quelle qu’elle soit, est une forme de l’audace. Pourquoi ne la tenterait-il pas, puisque tel est son plaisir et que ce plaisir respecte la seule véritable obligation à laquelle il croit rester tenu de ne pas tuer ni voler ?

Je disais plus haut : un simple épisode.

Faut-il faire allusion, à ce que tout le monde sait, de l’immoralité des dancings : de celle qui frise le scandale de certaines écoles, même peut-être et surtout de jeunes filles. Faut-il rappeler ce que j’écrivais de l’immoralité de certaine presse hebdomadaire, véritable initiatrice du scandale pour l’enfance ?

Faut-il rappeler, d’autre part, la montée en flèche du nombre des avortements, celle du nombre des malades qu’on nommait jadis honteux ?

Pour quiconque veut seulement regarder autour de soi, et sans parti pris, la preuve est faite d’une brutale libération de l’instinct sexuel ; d’ailleurs plus étendue, plus générale en d’autres pays que le nôtre ; et que cette libération pose à côté des grands problèmes sociaux classiques, un autre problème social infiniment grave, celui d’une nouvelle normalisation des relations sexuelles.

Sans prétendre résoudre ici ce problème, ni même en poser les données essentielles, il y a un point sur lequel, en vieux professeur, je voudrais encore une fois attirer l’attention, c’est sur le danger de perversion qui menace la jeunesse française.

Il faut, à tout prix, faire le barrage du vice autour de l’enfant et de l’adolescent, non par le moyen un peu suranné de la peur dont nos grand-mères usaient si facilement, ni surtout par le silence, qui est le meilleur auxiliaire du vice clandestin, mais par une éducation saine, par un raisonnement où l’hygiène du corps, celle de l’esprit ont les mêmes, droits que l’hygiène morale et sociale de la collectivité.

Dans ce domaine, c’est au moment  où se forme la personnalité de l’adolescent, le moment crucial pour sa vie d’homme, que la société doit créer autour de lui un milieu moral et physiologique affectueux et ferme. Hélas! Nous en sommes pas là ; et nous nous trouvons avoir tout à faire.

C’est pourquoi je crois pouvoir conclure que si le scandale de Montauban peut nous amener à prendre conscience de notre responsabilité vis-à-vis de nos fils et de nos filles, il n’aura pas été tout à fait inutile.

M. Guerret, Le Réveil de Tarn-et-Garonne, 19 mars 1949