Avant de présenter mon enquête sur l’expression “être de Montauban”, il me faut replacer les faits dans un contexte et vous parler de la France homophobe.
En regardant la photo de deux hommes signant leur acte de mariage, il est difficile d’imaginer, pour les plus jeunes, le chemin qui a été parcouru.
L’homophobie d’état a sévi jusqu’à la fin du 20ème siècle. Mais le mariage pour tous et les dernières élections législatives nous ont montré que l’homophobie est toujours bien présente en France.
Un article qui est un peu long mais ce rappel historique me semble indispensable pour comprendre ce qui s’est passé à Montauban et sûrement beaucoup d’autre villes en France. Ceux qui voudront approfondir le sujet, trouveront une série de liens à la fin de l’article.
Cet article est lié à mon article consacré à la notion de corruption de mineur.
1 – Les temps anciens
La perception de l’homosexualité a fluctué tout au long des siècles. Considérée comme un mode de vie pendant l’antiquité, tolérée pendant la première partie du Moyen âge, l’homosexualité fut ensuite considérée, en France, comme “la luxure abominable” pouvant mener à la peine de mort. Accuser une personnalité de “crime de sodomie” pouvait être une arme redoutable.
La toute puissante Église normalisa l’amour hétérosexuel car seul capable de procréation. L’homosexualité était perçue uniquement avec le prisme sexuel, il n’était plus question, comme dans l’antiquité, d’une relation romantique entre deux personnes du même sexe.
Il y eut des périodes de permissivité apparente, où les peines appliquées aux personnes prises en flagrant délit étaient assez légères. Cependant, il y avait une volonté de la police de repérer et harceler les homosexuels, tout en fermant les yeux lorsque cela impliquait des aristocrates ou les bourgeois.
Mais des scandales pédophiles impliquant des aristocrates érodèrent la tolérance de la société française et donna lieu à des exécutions publiques par le feu.
Le dernier bûcher fût érigé pour crime de sodomie en 1750. Les deux victimes étaient des hommes du peuple car, comme je l’ai signalé plus haut, les aristocrates et, plus tard, les grands bourgeois étaient toujours épargnés par les juges.
Lors de la Révolution, un nouveau code pénal fut rédigé en 1791. Le crime de sodomie fut aboli. L’homosexualité n’était plus perçue uniquement comme un acte sexuel mais plutôt comme un comportement, une relation amoureuse entre deux personnes du même sexe.
Souvent, cela impliquait uniquement les relations entre hommes, puisque la plupart du temps, le lesbianisme était ignoré et invisibilisé.
Il ne fut plus question de punir mais plutôt de contenir les comportements homosexuels pour éviter une contagion sociale et un trouble de l’ordre public. La police allait donc harceler et intimider.
2 – Les temps modernes
A la fin du 19ème siècle on voit apparaître une pathologisation de l’homosexualité notamment avec l’étude de Ambroise Tardieu, dans une étude médicale sur les attentats aux mœurs. Il y fait l’amalgame, par le biais d’une étude sur les viols pédophiles, entre pédophilie et homosexualité. Cela lui permet de décrire les hommes homosexuels comme des personnes faibles, malsaines et criminelles. Cet amalgame restera longtemps dans les esprits.
“Tardieu est accusé d’avoir fait de l’homosexuel un véritable monstre, et de l’homosexualité une maladie physique et mentale. Il assimile l’homosexuel masculin à la femme (dont il aurait les propriétés psychiques) et à l’animal (notamment au chien, dont il aurait le pénis). Il appelle les pouvoirs publics à s’inquiéter du caractère de subversion sociale que présenterait l’homosexualité, mettant en contact des Français et des étrangers (il dénonce le « cosmopolitisme de ces dégradantes passions »), des hommes du monde et des hommes du peuple. Pour finir, il associe l’homosexualité au crime (toute une série d’assassinats montrerait, selon lui, le lien des homosexuels avec « le rebut du monde le plus vil » auquel « ils vont demander la satisfaction de leurs monstrueux désirs »). Les contradictions abondent sous sa plume : le souci de scientificité clinique s’accompagne à chaque page de la rhétorique de la dépravation ; la thèse de l’innéité de la pédérastie va de pair avec celle du vice, c’est-à-dire du choix immoral.” Wikipedia
De plus l’homosexualité est perçue comme le fruit de mauvaises coutumes, un mode de vie par choix ou provoquée par une mauvaise influence sur une personne faible.
Entre les deux guerres, il y a un semblant de tolérance mais cela concerne surtout les grandes villes, les capitales et surtout les classes sociales privilégiées, les milieux artistiques. Si il y a des établissements qui accueillent tout type de clientèle. Si il n’y a pas vraiment une mixité sociale, il est excitant d’aller s’encanailler avec le prolétariat.
L’après Front Populaire va donner lieu à une vague de puritanisme et de répression qui va durer 40 ans.
Le gouvernement de Vichy décide que tout acte sexuel, qui n’a pas comme but la procréation, doit être réprimé.
Le 6 août 1942, il rétablit le délit d’homosexualité et modifie la majorité sexuelle des rapports homosexuels à 21 ans alors qu’elle reste à 15 ans pour les rapport hétérosexuels.
L’article 334 du code pénal punit des mêmes peines que le proxénétisme celui ou celle qui a commis des actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe, âgé de moins de 21 ans.
Cet article n’est pas annulé à la Libération mais confirmé par une ordonnance du code pénal. En 1945, il reprend le terme de Crime contre nature. Il est seulement retiré de l’article du code pénal sur le proxénétisme pour être rajouté à celui sur les attentats à la pudeur.
Deux mineurs ayant une relation peuvent être, eux aussi, poursuivis.
Un locataire doit occuper son logement « en bon père de famille » (supprimé en 1983) et les fonctionnaires devront être de « bonne moralité » (supprimé en 1984).
Il y a donc une volonté de répression et d’acharnement. Encore une fois, ce sont surtout les homosexuels masculins qui sont visés car, pour la société, les lesbiennes sont invisibles, elles n’existent pas.
Toutes ces lois donnent l’occasion à la police et aux pourris de toutes sortes d’harceler, piéger et faire chanter un grand nombre d’hommes pris en flagrant délit. Cela provoquera beaucoup de drames.
“Aux milliers de condamnés il faut ajouter ceux, innombrables, qui ont connu les effets de la répression, les raids dans les lieux de rencontres, le « panier à salade » de la police où les homosexuels étaient embarqués comme des criminels.” Régis Schlagdenhauffen, Sociologue et Historien.
C’est dans ce contexte que le scandale de Montauban éclate.
Le 18 juillet 1960, la répression devient encore plus dure. En effet, Paul Mirguet, député gaulliste, fait voter un amendement qui présente l’homosexualité comme un fléau social qui doit être combattu au même titre que l’alcoolisme, le proxénétisme et la prostitution.
Cette aggravation, dans le code pénal, double la peine des attentats à la pudeur qui sont appliqués au homosexuels. Cet amendement est supprimé en 1980 par le gouvernement de Maurice Barre.
Dans les années 70, le militantisme homosexuel commence à être de plus en plus actif notamment grâce au MLF. Ce sont donc les femmes qui sont un moteur pour la libération des droits. Qui s’en souvient encore ?
En 1974, la majorité sexuelle est abaissée à 18 ans pour les rapports homosexuels.
Mais il faudra attendre encore quelques années pour que l’amendement de 1942 soit supprimé.
Vous trouverez plus de détails sur la corruption de mineur ici
3 – De Mitterand à nos jours, l’homophobie aux aguets
L’arrivée des socialistes au pouvoir, en 1981, va changer la vie de milliers d’homosexuels en France, dont la mienne.
Raymond Forni et Gisèle Halimi, soutenus par Robert Badinter, font passer une loi essentielle le 04 août 1982. Ce n’est pas une loi de dépénalisation de l’homosexualité mais elle corrige un injustice en fixant le même âge pour tous concernant la majorité sexuelle.
«En 1982 on retire l’alinéa de l’article 331 de l’Ancien Code pénal qui doublait la peine en cas de détournement de mineur au titre de délit contre nature mais ceci n’était valable que dans ce cas précis. L’homosexualité en soi n’était pas condamnable.» L’alinéa 2 de l’article 331 du Code pénal prévoyait l’incrimination «de quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu mineur du même sexe». Thierry Pastorello, historien Source Têtu
La grande Gisèle Halimi, rapporteuse de la loi, prononce un discours admirable, le 20 décembre 1981.
“Il ne peut y avoir de “morale sexuelle” de tous qui s’impose à la ” morale sexuelle” de chacun. Chacun connaît la nécessité, pour l’individu, de vivre en accord avec ce qui reste le plus profondément inexprimé, par peur, honte, conditionnement social ou répression, je veux dire sa sexualité”.
Il serait vraiment fabuleux que ce discours de Gisèle Halimi soit étudié et analysé en cours d’histoire. Il aborde beaucoup de sujets qui sont encore d’actualité, notamment sur la notion du consentement.
Si c’est une grande avancée pour les droits, en France, ainsi que dans les mentalités. Il faudra, cependant, attendre 1992 pour que l’OMS enlève l’homosexualité de la liste des pathologies psychiatriques.
Les droits des homosexuels progressent très lentement après 1982. En effet, le militantisme gay se focalise surtout sur le sida.
Ayant vécu cette période, je pense aussi que le consumérisme galopant et triomphant, la dépolitisation d’une communauté pensant être intégrée et le tabou sur les pratiques sexuelles à risque ont freiné voire saboté la lutte pour les droits. Nous avons même vu apparaître des gais qui votent à droite voire à l’extrême droite. Mais ce n’est pas le propos de cet article.
Il faudra attendre 1995 pour que la loi du Pacs soit votée, dans la douleur. Cette proposition de loi provoque des débats incroyables avec une homophobie assumée de la part de la droite. Tout le monde se souvient des éclats de Christine Boutin dont un discours de cinq heures trente où elle affirme que « le Pacs érige l’homosexualité en norme ».
Cette loi servira tous les opposants au “mariage pour tous”. Ils la brandiront pour affirmer que le Pacs suffit amplement pour les homosexuels car le mariage est fait uniquement pour un homme et une femme.
En 2011, lors d’une commission, où une première proposition de loi pour l’ouverture du mariage pour tous est discutée, Brigitte Barèges lance “et pourquoi pas avec des animaux ?“
La Mairesse de Montauban est affiliée à l’UMP puis LR mais avec une mentalité 100% d’extrême droite. D’ailleurs, elle a réussi à se faire élire, à nouveau, grâce au RN. Par cette pseudo boutade profondément homophobe, elle annonce le cataclysme qui va secouer l’Assemblée Nationale lorsque la loi sera en discussion fin 2012.
La vague d’homophobie décomplexée, que cette proposition de loi va susciter, montre qu’elle est bien ancrée dans les rangs de la droite.
J’ai encore en mémoire les débats houleux et honteux à l’Assemblée Nationale, les manifestations que je croisais autour du Luxembourg et qui me glaçaient le sang. Je pense aussi, encore avec émotion, à la dignité, la pugnacité de Christiane Taubira et ses discours mémorables.
Il faut se réjouir de l’avancée de droits des homosexuels en France. Mais l’arrivée en force de l’extrême droite à l’Assemblée, lors des législatives de 2024, l’obscurantisme religieux progressant, me donnent à penser que nos droits sont encore bien fragiles et que tout peut basculer d’un battement de cils.
Être de Montauban – Un scandale vu par la presse
Être de Montauban – Du fait divers au scandale – 1ère partie
Être de Montauban – Du fait divers au scandale – 2ème partie
Sources
Histoire LGBT en France – Wikipedia
Abolition du crime de sodomie en 1791
Les années Folles, un “âge d’or” gay
Régis Schlagdenhauffen, Histoire – Sociologie – Etudes LGBTi
Quand l’homosexualité était un symptôme psychiatrique
La répression homosexuelle en France
1982, Dépénalisation de l’homosexualité ?
De la majorité sexuelle homosexuelle
Le Monde : « Homos, années clandestines », un récit en 5 volets
Interview de Bernard Bousset : Ma vie de PD