Une affaire de mœurs qui colle à une ville. Quel fut le véritable scandale ? Voici mes conclusions en deux parties.
Cela fait plusieurs mois que j’écris différents articles sur l’origine de l’expression “Être de Montauban“.
Après de nombreux brouillons, essais, écriture, ré-écriture, voici enfin mes conclusions sur cette malheureuse affaire.
– Les dossiers et jugements de l’instruction judiciaire (affaires portées devant les juridictions, les décisions de justice), sont communicables après 75 ans, ou 100 ans pour les affaires concernant les moeurs ou les mineurs. Je ne dévoile donc aucun nom.
– Je vous invite à lire l’article Être de Montauban – La corruption de mineur avant de lire cet article.
1 – Coupable ou victime ?
Ayant eu accès à tous les éléments de cette affaire, j’aurais pu retranscrire toute la procédure avec tous les détails et vous présenter un fait divers : Un jeune homme séduit un adolescent, le père s’en rend compte et porte plainte. Cette plainte fait boule de neige et donne lieu à une série d’arrestations et d’inculpations dans le milieu homosexuel montalbanais.
Etant donné que, dans la presse, les articles insistaient sur la notion de corruption de mineurs, je ne savais pas à quoi m’attendre en parcourant les dépositions.
Les prévenus avient-ils profité de leur âge, position pour avoir de l’ascendant sur des mineurs avec des pressions, menaces, propositions d’argent ? Etaient-ils de pauvres gars nés à la mauvaise époque ou de sales types ?
Cependant, en lisant le dossier complet, j’ai réalisé qu’il n’y avait eu pas de volonté réelle de justice de la parts de la police et du procureur.
Alors où se situe le véritable scandale ?
2 – Une plainte qui tombe à pic
Note : afin que ce compte rendu soit le plus fluide possible, j’ai décidé de le rédiger au présent.
Cette affaire commence à Montauban, le 20 février 1949. Neuf hommes sont arrêtés, inculpés, incarcérés. Ils sont envoyés en correctionnelle le 15 avril 1949 et condamnés. D’autres hommes sont entendus comme témoins.
Ce qui aurait dû être un fait divers réglé rapidement, est devenu, par la volonté du procureur montalbanais et des enquêteurs, une opération pour harceler, effrayer et opprimer des homosexuels de tous milieux. A cette même époque, ce type d’opération a aussi eu lieu à La Rochelle et à Tours et sûrement dans beaucoup d’autres villes en France.
En février 1949, un père de famille se présente à la police pour porter plainte contre René G., un jeune homme de 22 ans qui a une aventure avec son fils de 16 ans.
«Monsieur Marcel L., 39 ans, employé à la Mairie de Montauban, demeurant en notre ville N°6, place XXX. Il déclare : Je me présente à vos Services pour déposer une plainte, contre le nommé René G., demeurant à Montauban, Rue XXXXX. Ce jeune homme a essayé d’avoir avec mon fils, Antonin, âgé de 14 ans, au moment des faits, des rapports contre nature. Il a, à plusieurs reprises, attiré mon fils chez lui et a eu envers ce dernier des actes que la morale réprouve. J’avais déjà à l’époque demandé à vos Services d’intervenir auprès de mon fils, car je me doutais, sans en être sûr, des agissements de René G.. Aujourd’hui je suis sûr des faits qui se sont déroulés, chez cet individu, car j’ai questionné mon fils et il m’a tout avoué. En conséquence je dépose contre ce jeune homme une plainte.»
Les enquêteurs se frottent les mains lorsqu’ils interpellent René G.. En effet, ils se rendent compte que ce jeune homme est facilement impressionnable et qu’ils vont pouvoir l’utiliser pour obtenir des noms. De plus, il est jeune car majeur depuis un an, une véritable aubaine.
Il est donc arrêté et interrogé. Il donnera une liste de noms, dont des mineurs. Leurs témoignages serviront à déclencher une série d’arrestations et d’incarcérations.
A la lectures des dépositions, nous comprenons qu’il a sûrement subi des pressions et peut-être qu’une promesse d’indulgence lui a été faite. Car, s’il est le déclencheur de cette affaire et qu’il a avoué les faits qui lui sont reprochés, sa condamnation sera minime par rapport aux autres accusés.
C’est une véritable rafle qui est effectuée. En effet, les interrogatoires, contre-interrogatoires et confrontations s’enchaînent dès le 20 février . C’est plus de 30 hommes de Montauban, Moissac et Toulouse qui sont convoqués par la police.
Les premiers mandats de dépôt sont présentés le 28 février et le dernier, le 21 mars.
3 – Des vies bouleversées
Les inculpés ont entre 22 et 59 ans. Ils sont de tous milieux sociaux.
Voici la liste avec leurs noms en initiale, l’âge, la profession, mon commentaire et la conclusion de sa fiche d’information.1
René G., 22 ans, Miroitier sans emploi. C’est lui qui est victime de la première plainte. “l’inculpé est un être sans volonté et paresseux“
Jesus L., 40 ans, Manœuvre portugais (il est désigné comme cela). Une des cibles principales des enquêteurs et du procureur. “L’inculpé est connu comme un pédéraste notoire dans notre ville”
Jean C., 59 ans, Pharmacien et Adjoint au Maire de Montauban. Une des cibles principales des enquêteurs mais pas du procureur. “L’inculpé qui est adjoint au maire de Montauban est très bien considéré dans notre ville où il jouit de la considération générale.”
René R., 36 ans, Pâtissier. Une des cibles principales des enquêteurs. “En dehors des faits reprochés, l’inculpé n’a jamais fait l’objet de remarques de la part de nos services.”
Pierre D., 28 ans, Agent général d’assurance. Il sera puni pour sa relation sentimentale avec un mineur. “En dehors des faits reprochés, l’inculpé n’a jamais fait l’objet de remarques défavorables de la part de nos services.”
Louis L., 29 ans, Valet de chambre. Il sera utilisé pour obtenir une liste de noms du milieu homosexuel montalbanais. “L’inculpé est un individu sans volonté, se laisse facilement entraîner.”
André A., 40 ans, Artiste Lyrique. Un sacré personnage qui n’a aucune honte à être homosexuel. “L’inculpé ne parait pas jouir de toutes ses facultés mentales.”
André P., 31 ans, Magasinier. “En dehors des faits reprochés, l’inculpé n’a jamais fait l’objet de remarques de la part de nos services.”
Robert C., 40 ans, Infirmier. “En dehors des faits reprochés, l’inculpé n’a jamais fait l’objet de remarques de la part de nos services.”

Les neufs inculpés vivent presque tous dans le même quartier de Villenouvelle ou un quartier proche. Certains vivent même dans la même rue ou dans le même immeuble.
Le Quai Montmurat est le lieu où ils traînent, se croisent, se rencontrent.

Il est évident que tous se connaissent, ils sont peut-être camarades, amis ou encore amants.
Cependant, avec ces comparutions, toutes ces relations sont balayées. En effet, lors des interrogatoires, les enquêteurs poussent à la délation. Et chacun voulant se préserver, cela provoque sûrement la fin de ces amitiés, camaraderies.
4 – Une enquête biaisée et violente
Dès le départ, l’enquête se focalise sur des dates pour démontrer que tous ces hommes, qui ont été arrêtés, ont eu des relations sexuelles avec des mineurs. Car la volonté du procureur est de pouvoir procéder à des inculpations et c’est la seule manière d’y parvenir.
Dès que la plainte est déposée, les choses vont vite. Beaucoup de témoins sont convoqués et interrogés. Ce sont plus d’une trentaine d’hommes qui subissent des interrogatoires qui suivent une stratégie très claire : constater des faits de corruption de mineur.
Il est vrai que certains ont profité de leur âge, leur position pour impressionner des jeunes hommes ou adolescents pour obtenir des faveurs sexuelles. Pour ces raisons, ces personnes méritaient une sanction. Cependant, ce n’est pas cela qui intéressait le procureur, mais plutôt une opération d’harcèlement de grande envergure envers le milieu homosexuel montalbanais.
«René R. , a commis des actes impudiques, au cours de l’année 1948, avec René F., âgé de 16 ans, à deux reprises dans le laboratoire de sa pâtisserie. René F. déclare que la seconde fois René R. lui avait remis une somme de 1.000 frs et lui avait proposé d’avoir des rapports contre nature.»
La victime idéale
Les enquêteurs se servent de René G. qui, pour rappel, a 22 ans lorsque la plainte est déposée contre lui. Ils veulent prouver que les prévenus ont eu des relations avec lui avant sa majorité (21 ans à l’époque)
Alors qu’il était l’accusé principal, il devient un instrument précieux pour les enquêteurs. Car, même si au début, il nie tout, il fournit rapidement une longue liste de noms qui va permettre une série d’arrestation.
«Je suis disposé à vous dire tout ce que je sais sur l’activité de Jesus L. et sur ceux, qui je crois sont des adeptes de l’homosexualité.
Pendant tout le temps que j’ai fréquenté Jesus L., j’ai eu l’occasion, soit par ses confidences, soit parce que j’ai vu des personnes chez lui, de connaître ou de savoir quelles étaient ces personnes.
C’est ainsi que Jesus L. m’a déclaré qu’il avait en ville des amis influents. Il m’a parlé entre autres d’un pharmacien de la ville, Monsieur Jean C. À son sujet Jesus L. m’a indiqué que ce dernier lui rendait de fréquentes visites à son domicile.
Personnellement je ne l’ai jamais vu chez mon ami. Il m’a également parlé d’un coiffeur, qui demeure proche de la cathédrale à Montauban. Je n’ai jamais su le nom de ce dernier, je ne l’ai jamais demandé à Jesus L.
Ce dernier m’a également parlé d’un individu qui réside dans un immeuble dans lequel est également une pâtisserie. Je ne connais pas le nom de ce Monsieur mais je puis vous dire qu’il est de taille moyenne, brun et très frisé. Je ne puis vous indiquer où travaille ce Monsieur.»
Tous coupables !
La méthode utilisée par les enquêteurs se base sur des interrogatoires, contre-interrogatoires et confrontations. Tout est mis en œuvre pour faire craquer les prévenus. Pourtant, ces derniers résistent assez longtemps avant de capituler devant les enquêteurs.
Il y aurait tellement à raconter sur l’attitudes des enquêteurs. Mais je peux vous assurer que tous, prévenus comme témoins, ont été traités comme des criminels.
Au début de l’enquête, un témoin n’a pas supporté ce traitement et les conséquences que cette affaire allait entraîner. Le malheureux s’est suicidé la veille de sa deuxième comparution, en se jetant du haut du quai Montmurat, le lieu de rencontre d’homosexuels de Montauban.
«Ce fonctionnaire de Police nous précise qu’au moment où il a reconnu Georges G., aucun témoin ne se trouvait auprès de lui et qu’il s’agit, sans nul doute, d’un suicide.
Le corps, qui a été légèrement déplacé avant notre arrivée par l’Inspecteur-Chef F., se trouve sur les brisants, contre la muraille.
Sur l’un de ceux-ci, nous constatons la présence d’une flaque de sang. L’endroit d’où s’est jetée la victime est situé à une trentaine de mètres en aval du Café du Quai et en ce lieu, le quai Montmurat surplombe d’une dizaine de mètres la rive du Tarn.
M. le docteur B., médecin-légiste, requis par nos soins, a constaté le décès dû à une fracture du crâne.»
A quoi ça sert l’amour ?
Tout au long des comparutions, aucune histoire sentimentale n’est évoquée. On parle d’actes contre nature et ce ne sont que des descriptions d’actes sexuels.
«Toujours chez Jesus L. j’ai fait la connaissance de Monsieur Jean C. pharmacien à Montauban, et, un jour que je m’étais rendu dans sa pharmacie, ce dernier m’entraîna au fond de son officine, me masturba et me suça la verge.
Cette scéance s’est répétée une deuxième fois, mais malgré l’insistance de Monsieur C. à avoir avec moi des rapports plus intimes, je n’ai jamais accepté ses propositions.
J’ai également connu dans le milieu homosexuel un certain Monsieur Adrien XXXX, alors qu’il était gérant de l’hôtel T. à Montauban. J’ai eu avec ce dernier, dans la nature, une séance de masturbation mutuelle et il me suça le verge.
Je n’ai eu qu’une seule relation avec lui, celle que je viens de vous dire, mais Monsieur XXX m’avait proposé d’abord des relations plus poussées, et pour cela d’aller voir le soir tard chez lui. Je n’y suis jamais allé»
Marcel H., qui a 20 ans, évoque sa relation avec un des prévenus, Pierre D. Lorsque les policiers apprennent que sa mère est au courant et ferme les yeux, ils la convoquent pour la menacer et la traiter de mauvaise mère, de mauvaise femme. Alors qu’il semble que ce soit une relation sentimentale, le prévenu est inculpé et incarcéré.
5 – Le clergé protégé
Dès le début de l’enquête, un prêtre, professeur à l’école de Saint T., est dénoncé par un des témoins.
«Dans le courant de l’année scolaire 1930-1931, j’étais élève à l’École Saint-T. à Montauban. À cette époque-là, le maître de Chapelle était un prêtre, nommé François D.
Comme j’étais moi-même enfant de chœur, j’étais, de par les fonctions que j’occupais, sous la coupe directe de ce prêtre.
Sous les motifs les plus futiles, ce dernier m’entraînait souvent dans sa chambre et là, me caressait.
Étant gosse et ignorant de la vie je me laissais faire, surtout que l’année suivante j’ai été élève dans sa classe et j’ai pu me rendre compte qu’il avait les mêmes gestes auprès de mes camarades.»
Un autre témoin parle des abus qu’il a subis dans les écoles privées catholiques.
« A ce sujet, je dois vous dire que si je suis devenu un adepte des mœurs que vous connaissez, je le dois à l’initiation et aux exégèses que j’ai reçues lorsque j’étais très jeune, élève des Écoles Libres Catholiques. J’ai été dans ces établissements la victime de prêtres qui étaient chargés de mon éducation, qui en fait m’ont donné des penchants contre nature.
Personnellement je suis actuellement trop ancien et je crois que ceux qui m’ont donné cette formation sexuelle ne sont plus de ce monde. C’est pour cette raison, que je ne citerai pas le nom de ces gens là.
Le préambule que je viens de vous faire était nécessaire, vous allez comprendre dans quel état d’esprit le jeune Pierre D., qui a été élevé dans les mêmes écoles que moi, est entré dans la vie.
Pierre D. avait 10 ans environ lorsqu’il a été victime lui aussi des agissements d’un prêtre, le nommé François D., à l’époque Professeur au Collège Saint-T à Montauban, actuellement chanoine et professeur à l’Institut Catholique de Paris.
Ce prêtre est à mon avis le responsable moral des fautes que l’on peut aujourd’hui reprocher à son ancien élève.»
Alors qu’il se trouve devant un cas de pédophilie avec passage à l’acte, le procureur décide de ne pas poursuivre cette piste, même si les faits sont consignés dans le compte rendu des enquêteurs. Ce prêtre n’est plus à Montauban et il n’y a aucune volonté de le faire venir de Paris afin de l’interroger. Comme c’est un prêtre qui est impliqué, dans une école privée de renom, le procureur ferme les yeux.
Nous savons que le clergé a dissimulé tous les scandales pédophiles au sein des écoles privées. Les plaintes du jeune garçon et des parents, auprès du directeur de l’école, sont remontées à l’Evêque de Montauban, mais l’affaire a été étouffée.
«Je crois me souvenir de cette affaire là, qui, dans le monde clérical, fit assez de bruit. L’Evêque lui-même fut saisi de la question.
Je mis moi-même mes parents au courant de ces faits, et je crois me souvenir que ma mère eut à ce sujet une entrevue avec le Directeur de Saint T. Depuis ces faits, j’ai été marqué moralement par les gestes de ce prêtre, et je n’ai jamais pu, par la suite, me débarrasser définitivement des instincts que l’Abbé D. avaient éveillés en moi.
A ce sujet, je me souviens également, pour vous dire que je n’étais pas le seul à être initié dans cette école, que tout à fait au début de mon entrée à Saint T., un élève plus âgé que moi est venu me retrouver dans mon lit, j’avais à cette époque là 9 ans et je crois pouvoir vous dire que ce dernier eut à mon égard des gestes et des faits qui sont ceux d’un homosexuel averti»
J’ai compris que l’Abbé D. a été envoyé en Angleterre pour faire des études supérieures. Puis, pendant la guerre, il a été proposé pour un poste à l’Institut Catholique Paris.
L’évêque de Montauban a semblé avoir été heureux de se débarrasser du problème.
«Il expose ensuite que Mgr. l’Evêque d’Autun n’a pas voulu se dessaisir de M. l’abbé Deterde qui avait été demandé pour prendre la succession de M. Couturier. Par contre, Mgr. l’Evêque de Montauban a généreusement accepté de donner M. l’abbé D., qui n’attend plus qu’un laisser-passer pour rejoindre son poste.»
Je n’ose imaginer tous les garçons qu’il a agressés tout au long de sa carrière.
Et puis, combien de prêtres ont continué à abuser de jeunes garçons dans cette école ?
L’école de Saint T. n’a pas répondu à mes demandes de renseignements sur cet ancien professeur. Nous sommes aussi allés à l’Institut Catholique de Paris. Je vous tiendrai au courant du fruit de mes recherches.
La suite se trouve ici
Petit entracte musical
Notes
- En début dune instruction, chaque prévenu faisait l’objet d’une fiche, accompagnée d’une investigation sur ses antécédents, sa réputation. Les enquêteurs complétaient une dernière rubrique totalement subjective qui permettait tous les abus. “Renseignements divers permettant d’apprécier la moralité de l’inculpé et le degré d’indulgence dont il peut être digne ↩︎