Être de Montauban – Du fait divers au scandale – 2ème partie

Mes conclusions sur l’affaire de mœurs qui a secoué Montauban en 1949. Où se trouvait le véritable scandale ?

Cela fait plusieurs mois que j’écris différents articles sur l’origine de l’expression “Être de Montauban“. Voici la deuxième et dernière partie où je présente mes conclusions à propos d’un fait divers qui est devenu un scandale.

Afin de bien comprendre toute l’affaire, je vous invite à lire la première partie de cet article ici

6 – Mieux être un pharmacien français qu’un manœuvre portugais

Très rapidement les enquêteurs se focalisent surtout sur deux hommes, Jean C., un notable pharmacien, adjoint au maire et ancien résistant, ainsi que Jesus L., un manœuvre portugais. Ils sont considérés comme les deux corrupteurs principaux. Un troisième homme est aussi ciblé plus particulièrement, René R., pâtissier, qui organisait des rendez-vous dans son laboratoire.

Pour procéder aux inculpations, les interrogatoires sont dirigés pour démontrer que Rémi G. a eu des relations sexuelles avec des hommes alors qu’il était mineur. Les enquêteurs essaient aussi de prouver que les trois prévenus Jean C., Jesus L., René R., ont négocié des relations avec des mineurs en échange d’argent, de marchandises, d’un logement, de faveurs.

Jesus L. connaît un véritable acharnement lors des interrogatoires. Il est arrêté et écroué presque immédiatement. Le réquisitoire définitif du procureur insiste sur ses relations avec des mineurs alors qu’il est avant tout homosexuel et a surtout des aventures avec des hommes majeurs.

«Jesus L. avouait avoir eu des relations contre nature avec plusieurs jeunes gens et notamment dans le courant de l’année 1947 avec le jeune René F. âgé de 16 ans. Il précisait, en outre, avoir été l’initiateur de René G. âgé de 18 ans dans le courant de l’été 1945, en se livrant sur lui à des actes impudiques»

Un prévenu VIP

Lorsque il est établi que le Jean C., deuxième adjoint au maire, est impliqué, celui-ci n’est plus entendu par les enquêteurs mais par le juge d’instruction. Même si les enquêteurs sont déterminés à prouver sa culpabilité, il est traité avec plus d’égard.

Pourtant, Jean C. est systématiquement cité par tous. Il avait des besoins importants qu’il assouvissait avec des adultes chez Jesus L. ou au quai Montmurat. Il se servait de sa boutique pour attirer et amadouer des mineurs.

Il est trahi par un détail qui ne pouvait être visible que dans une situation d’intimité.

«Je ne saurai toutefois préciser davantage la date mais j’affirme qu’il y a au moins trois ans, quand devant moi, ce pharmacien a baissé son pantalon j’ai bien remarqué qu’il portait un bandage herniaire. Je lui ai demandé à quoi servait cet appareil car j’avais remarqué qu’il avait sur le corps une grosseur à cet endroit. Il m’a expliqué que c’était une hernie.»

Il semble aussi qu’il ait eu une relation de longue date avec Jesus L. mais il n’hésite pas à témoigner à charge contre lui en l’accusant de chantage. 

Il récuse pendant pas mal de temps toutes les accusations et ce, malgré les confrontations. Il joue l’indignation et se targue de s’occuper d’associations de la jeunesse !!! Il fera jouer toutes ses relations.

Dans les dossiers de comparutions, tous les passages qui concernent Jean C. sont soulignés, parfois en rouge. Pourtant, alors que les autres prévenus sont écroués, il est laissé en liberté. Il ne fera qu’un court séjour en prison (un mois). D’autre part, tous les faits, dont il était accusé, ont été supprimés du réquisitoire définitif du procureur.

Voici ce que déclare un témoin sur Jean C. :

«J’ai connu également Monsieur Jean C., Pharmacien à Montauban, qui est également un homosexuel. Cependant je dois vous dire qu’avec lui les relations que j’ai eues n’ont pas été du même genre que les autres. Monsieur C., qui est passif, voulait bien avoir avec moi des relations très intimes. Cependant devant mon refus Monsieur C. s’est contenté de sucer ma verge et cela à plusieurs reprises. Ces séances de succions se passaient toujours chez lui en l’absence de sa femme. J’ai eu, avec Monsieur C., de la manière que je viens de vous indiquer, une dizaine de relations. C’est lui qui m’avait provoqué, connaissant certainement mes mœurs spéciales. La dernière séance a eu lieu dans le courant de l’année dernière, à une date que je ne puis préciser. Monsieur C. ne m’a jamais payé et m’a simplement offert à boire.»

Un autre témoin à charge se rétracte, puis revient sur son témoignage. Il avoue que c’est suite aux menaces proférées par le fils de Jean C. Malgré la tentative d’intimidation d’un témoin, le fils ne sera pas inquiété.

«La confrontation que je viens d’avoir avec Monsieur C., pharmacien, a été faussée par le fils de ce dernier, en ce sens, que Monsieur C. fils m’a menacé que, dans le cas où j’accuserais son père d’avoir eu avec moi des relations contre nature, il m’administrerait une série de corrections. J’ai eu peur de cet individu et c’est pour cette raison que j’ai rétracté les affirmations de la veille. A l’heure actuelle, n’étant plus exposé aux menaces et à la contrainte de Monsieur C. fils, je vous affirme que les relations que j’ai eues avec Monsieur C. père sont de la nature que je vous ai indiquée dans ma première déclaration. Je suis prêt à les renouveler devant le Tribunal, si cela est utile.»

7 – Tous les moyens sont bons

Pensant qu’ils leur faut plus d’éléments à charge, les policiers arrêtent aussi deux hommes qu’ils considèrent comme faibles et malades, dans le but de se servir d’eux.

Lors d’une longue déposition, Louis L. témoigne contre tous les prévenus, notamment concernant des relations eues avec eux alors qu’il avait 19 ans et plus particulièrement avec Jean C. A la demande de son avocat, une expertise psychiatrique est effectuée qui le classe comme débile mental. Cette expertise est dans le dossier, elle est vraiment odieuse. Elle débouchera à une relaxe.

André A. avoue avoir eu des relations avec tous les prévenus. Cependant, André A. est déterminé à ne pas se laisser faire. Il entame une grève de la faim qui débouchera à une relaxe.

Le 7 mars, alors qu’ils ont tous les éléments pour procéder à des inculpations, divers interrogatoires continuent jusqu’à la fin du mois : 

«Arrivée à ce stade, l’enquête marquait le pas, mais selon les instructions verbales de Monsieur le Procureur de la République, elle fût continuée, afin d’entendre toutes les  personnes citées et de leur faire comprendre que l’autorité était au courant de leurs agissements sinon répréhensibles, du moins, immoraux. C’est ainsi que nous avons été amenés à entendre sans relever à leur encontre de délit, le Parquet ne retenant pas l’outrage public à la pudeur, les dénommés : suite d’une dizaine de noms. Ceux dont les noms suivant n’ont pu être entendus ayant quitté la ville, il s’agit de : suite d’une dizaine de noms dont le nom du prêtre accusé.» 

Les prévenus sont mis en détention préventive vers la première semaine de mars 1949. Les premières conclusions des enquêteurs sont transmises le 19 mars et le réquisitoire du procureur est transmis le 13 avril pour une comparution en correctionnelle le 15 avril.

«En conséquence et attendu qu’il y a charges suffisantes contre les dits :

-1° Jesus L. d’avoir à Montauban dans le courant des années 1945 et 1947 en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques et contre nature avec des mineurs de son sexe âgés de moins de 21 ans.

-2° Pierre D. d’avoir à Montauban au cours des années 1946, 1948 et 1949 en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques avec des mineurs de son sexe âgés de moins de 21 ans.

-3° René G. d’avoir à Montauban dans le courant des années 1945 et 1948, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques avec des mineurs de son sexe âgés de moins de 21 ans.

-4° René R. d’avoir à Montauban dans le courant de l’année 1948, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

-5° André P. d’avoir à Ouzous (Hautes-Pyrénées) dans le courant du mois de décembre 1947, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

-6° Louis L. d’avoir à Montauban, dans le courant de l’année 1944, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques et contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

-7° Robert C. d’avoir à Montauban, dans le courant de l’année 1945, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

-8° Jean C. d’avoir à Montauban, dans le courant de l’année 1946, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

-9° André A. d’avoir à Montauban, dans le courant de l’année 1946, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis des actes impudiques avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.»

8 – Dénouement de l’affaire

C’est donc la notion de corruption de mineur qui est retenue pour envoyer en correctionnelle et faire condamner tous les inculpés à des amendes et des peines de prison. 

« Excitation de mineurs à la débauche et actes impudiques contre nature sur les personnes mineures de moins de 21 ans de son propre sexe »

Les prévenus qui écopent des peines de prison et des amendes les plus fortes sont le pharmacien, le manœuvre portugais et le pâtissier. 

Malgré le fait qu’il soit inconnu des services de police, Pierre D. qui a avoué avoir une relation amoureuse avec un mineur avec la bénédiction de la mère est, lui aussi, condamné assez sévèrement à 4 mois de prison et 6.000 Frs d’amende.

Tous les prévenus sont condamné à des amendes allant de 6.000 Frs (220 euros) à 10.000 Frs (370 euros). Certains écopent en plus des peines de prison allant de 3 à 6 mois. Seuls deux sont relaxés.

De l’utilité d’être un notable ou du clergé

Même si il a été lourdement condamné, un courrier, envoyé par le président du comité de la Libération du Tarn-et-Garonne, permet à Jean C. d’obtenir une amnistie. C’est grâce à l’article 10 d’une loi passé en 1947 qui permet d’amnistier les “personnes ayant appartenu à une formation de résistance, telles qu’elles ont été définies par la loi du 15 mai 1946, à la date du 6 juin 1944, ainsi que leur conjoint et leurs enfants mineurs.” Il est amnistié le 6 mai 1949, trois semaines après le jugement.

Je suppose que sa carrière politique s’est arrêtée avec cette affaire mais je n’ai pas eu encore l’occasion de le vérifier. J’ai réussi à retrouver sa trace dans la Manche où il est décédé dans les années 60. Il y avait ouvert une pharmacie avec son épouse.

Je dois aussi me rendre au Musée de la Résistance du Tarn et Garonne. Je ne manquerai pas de faire des mises à jour si cela est nécessaire. 

Le prêtre semble n’avoir jamais été inquiété. Il est resté en poste à l’institut catholique de Paris jusqu’à sa mort en 1969.

– Le(s) véritable(s) scandale(s) –

A la lecture du dossier, nous voyons que toute cette affaire a été un prétexte pour harceler, effrayer, réprimer et jeter sur la place publique des hommes parce qu’ils étaient homosexuels. 

Un prêtre pédophile épargné

Nous remarquer l’ignorance des récits d’agressions sexuelles de la part d’un prêtre d’une école privée réputée de Montauban par les autorités. Malgré tous les détails qui ont été fournis par deux témoins, les enquêteurs et le procureurs ont ignorés cette piste. Lorsque nous voyons comment est traité l’affaire de Betharam et l’attitude d’un premier ministre sur le sujet, nous pouvons imaginer que ces témoignages n’intéressait pas la police à cette époque. 

Amnistié parce que notable

L’adjoint au maire a été amnistié alors que tous les témoignages convergent vers lui. Il a reconnu avoir profité de son statut pour user de son ascendance afin de séduire des jeunes hommes et des adolescents dans sa pharmacie contre des médicament ou de l’argent. Le tribunal l’avait pourtant condamné à une des peines les plus lourdes.

Il bénéficie d’un traitement spécial parce que c’est un notable, qu’il est un ancien résistant et qu’il est adjoint au maire.

En lisant le courrier du président du comité de libération du Tarn-et-Garonne, j’ai pensé tout de suite aux débats sur Polanski, Depardieu etc. sur la question : Doit-on séparer l’homme de l’artiste ? Devaient-ils séparer l’homme du résistant ? Car, à la lecture de tout le dossier, j’aurais tendance à dire que ce n’était pas un véritable gentilhomme. Il profitait de sa situation pour obliger des hommes jeunes et des mineurs à avoir des relations avec lui. De plus, il n’a pas hésité à porter des accusations contre un homme qui avait été probablement son amant pendant une longue période. Nous pouvons même nous demander pourquoi il n’a pas été arrêté auparavant. En effet, les dépositions laissent à penser qu’il était assez insatiable sexuellement.

Voici un extrait de la lettre qui rappelle son action au sein de la Résistance à Montauban : 

«M. Jean C. a toujours été un résistant ardent, résolu et prêt à tous les sacrifices. Dans ses fonctions officielles, il s’est toujours montré pondéré, compréhensif, foncièrement bon et juste. Il est titulaire de la médaille de la Résistance depuis le début de l’année 1945.»

Le fils de l’adjoint au maire a tout de même menacé un témoin important pour qu’il se rétracte au sujet de son père. Il n’a jamais été inculpé pour subordination de témoin.

Une police et une justice homophobes

Lors de ses conclusions, un enquêteur raconte que, alors qu’ils avaient tous les éléments nécessaires, le procureur a demandé que d’autres hommes soient convoqués pour témoigner. Cela a permis aux services de Police d’étoffer le fichier des «homosexuels notoires». Ces témoins ont été sermonnés et menacés d’être jetés sur la place publique. 

Tous les prévenus ont été livrés en pâture à la justice, au public et à la presse par pure idéologie. Leur vie a sûrement été bouleversée pour toujours car victimes d’ostracisation voire de bannissement. 

Il y a surtout eu l’effroi des arrestations, les mauvais traitements de la police, l’humiliation qui ont poussé au désespoir un homme, jusqu’au suicide. Pour certains, ce sont les séjours en prison avec tout ce que cela implique. Et puis enfin, il y a eu la honte lors du retour dans leur famille, leur quartier, leur travail1.

Il a fallu qu’un prévenu entame une grève de la faim pour obtenir une relaxe. Alors qu’il était considéré comme débile mental, il a eu assez de volonté et de courage pour s’opposer à cette mascarade.

Les comparutions et le jugement final étaient sensés être à huis-clos. Alors, pourquoi la presse a-t-elle eu maints détails qu’elle a publiés régulièrement ? C’est à cause de tous les articles publiés pendant l’affaire, que l’insulte “Être de Montauban” et ses sous-entendus est née et devenue célèbre.

“On est un peu honteux et gênés vis-à-vis des voisins d’être Montalbanais” La leçon d’un scandale – Marcel Guerret, 19 mars 1949, Le Réveil du Tarn-et-Garonne

La Mairie de Montauban effectue, actuellement, des travaux de rénovation du Quai Montmurat. Il serait peut-être temps de rendre justice à tous ces hommes jetés en pâture et leur rendre hommage en apposant une plaque explicative ?

Pour ma part, je n’ai jamais eu honte d’être de Montauban !

  1. Voici un témoignage du créateur du SNEG. Bernard Bousset, a connu cette période. Il raconte la répression qu’il a endurée en 1965. Quinze ans après l’affaire de Montauban ↩︎